Alexeï Grygorevitch S.
Éloge du marteau piqueur.
À quoi pensait donc Alexeï Grigoryevich S. après huit heures de marteau piqueur à deux cent mètres sous terre ? Savourait-il de sa sueur le labeur accompli, le visage noirci et les yeux embués de larmes que l’émotion faisait naître, pensant subitement aux médailles que la nation tout entière lui décernerait sans nul doute ? Non. Pensait-il à sa famille, à sa charmante compagne ? Non plus. À ses enfants ? Il n’en avait pas encore ! Alors pensait-il au repas du soir ? Non, malheureux ! Bien sûr que non. À dieu ? Non et non. À Staline ? Non, pas plus. Mais à quoi alors, Tovaritch ? À quoi pensait-il, nom de Dieu ???? ?????? !?
Peut-être, dans les profondeurs de son esprit, Alexeï Grigoryevich S. méditait-il sur l'absurdité de la condition humaine, sur cette étrange propension qu'ont les hommes à aller contre la volonté d'autrui. Kant, dans sa rigueur morale, aurait sans doute vu dans cette rébellion intérieure une violation de l'impératif catégorique, une négation de l'autonomie de la volonté. Rousseau, quant à lui, aurait peut-être applaudi cette résistance silencieuse, y voyant l'expression d'une liberté inaliénable, d'un refus de se soumettre à la tyrannie des attentes sociales.
Mais Alexeï, lui, ne pensait ni à Kant ni à Rousseau. Il pensait à ces mots gravés sur les portes de l'enfer dantesque, “Arbeit macht frei”, le travail rend libre. Une liberté bien étrange, celle qui s'acquiert au prix de la sueur et du sang, dans les entrailles de la terre. Une liberté qui, paradoxalement, enchaîne plus qu'elle ne libère, car elle est le fruit d'une contrainte imposée par d'autres, d'une volonté extérieure à laquelle on ne peut échapper.
Et puis, il y avait ces images qui lui revenaient en mémoire, celles des “Bateliers de la Volga” de Ilia Iefimovitch Répine. Ces hommes, courbés sous l'effort, tirant de toutes leurs forces une barge contre le courant impétueux du fleuve. Leur visage marqué par la fatigue, mais aussi par une détermination farouche, une volonté de ne pas céder, de ne pas plier sous le poids de l'adversité. Alexeï voyait dans ces bateliers une métaphore de sa propre existence, une lutte incessante contre les éléments, contre les forces invisibles qui cherchent à nous broyer.
Les Bateliers de la Volga (russe : Bourlaki na Volgué, ??????? ?? ?????) est un tableau du peintre russe Ilia Répine réalisé entre 1870 et 1873.
Mais contrairement aux bateliers de Répine, Alexeï ne trouvait pas dans son labeur une forme de rédemption ou de transcendance. Il ne voyait pas dans son travail une manière de s'élever au-dessus de sa condition, de trouver un sens à son existence. Non, pour lui, le travail était une nécessité, une obligation à laquelle il ne pouvait se soustraire. Une obligation qui, loin de le libérer, l'enfermait dans une routine aliénante, dans un cycle sans fin de souffrance et de résignation.
Et pourtant, malgré tout, Alexeï continuait de creuser, de frapper la roche avec son marteau piqueur, de s'enfoncer toujours plus profondément dans les entrailles de la terre. Car au fond de lui, il savait que, même si son travail ne lui apportait ni gloire ni bonheur, il lui permettait de survivre, de résister, de ne pas se laisser engloutir par le néant. Et c'est peut-être là, dans cette résistance silencieuse, dans cette volonté de ne pas céder, qu'il trouvait une forme de liberté, une liberté bien étrange, certes, mais une liberté tout de même.
Alors, à quoi pensait Alexeï Grigoryevich S. après huit heures de marteau piqueur à deux cent mètres sous terre ? Peut-être à tout cela à la fois, ou peut-être à rien de tout cela. Peut-être que, tout simplement, il pensait à la prochaine cigarette qu'il allait fumer, à la prochaine bière qu'il allait boire, au prochain verre, à la prochaine bouteille, au prochain tonneau de vodka… À la prochaine nuit enfin qu'il allait passer à rêver d'un monde meilleur, d'un monde où les hommes ne seraient plus contraints d'aller contre la volonté d'autrui, où ils pourraient enfin être libres, vraiment libres. Comme l’oiseau.
Oui. Comme l’oiseau. Et dans ces moments de rêverie, une mélodie lui revenait en tête, une chanson française qu'il avait entendue un jour, “Fais comme l'oiseau” de Michel Fugain. Mais dans son esprit, les paroles se transformaient, se teintaient des couleurs sombres de sa réalité. Il se murmurait à lui-même dans le pépiement de ses neurones brouillés par le doux nectar et l’herbe à bison :
« Faiiis commeeuuuh le mineureuuh, Alexeï, prends ta pioche et ton courage, Descends dans les profondeurs, où la lumière n'ose s'aventurer. Faiiis commeeuuuh le mineureuuh, Alexeï, creuse la terre et oublie
la paixtes peines, Car dans les ténèbres, tu trouveras peut-être un semblant depeinepaix. »
Et tandis qu'il chantait ces mots, il imaginait les petites culottes des belles femmes qui l’admirait, lui, son poitrail aux poils luisants, ses muscles bandés autour de son marteau piqueur, tous ces morceaux de tissu délicats qui, dans leur simplicité, représentaient tout ce qu'il n'avait pas au fond du trou, tout ce qu'il désirait par dessus tout.
Ces petites culottes, symbole de douceur et de féminité, contrastaient si fortement avec la rudesse de son quotidien, avec la dureté de la roche qu'il devait briser chaque jour. Libre comme l’oiseau, lui, la chauve souris n’en dormait pas la nuit, de son prêt de merde de petit gagneur à la banque du Kolkhoze. Des montagnes de billets dont la couleur sans fin lui revenait, comme les culottes, mais en moins gai. Des petites culottes qu’il mettait, pour se sentir plus fort et plus frais. Chacun son truc. Tout ça c’est vrai !
??– Ah bon ? Mais c’est pas vraiment l’Histoire que tu raconte ? Si ?
??– Mais si, mais ta gueule la p’tite histoire c’est ça ! J’y étais comme je te vois au fond du trou aussi moi !
??– Ah d’accord, papa. Mais Michel Fugain il était pas né si ?
??– Laisse tomber, imagine ! Laisse toi emporter par la fougue d’Alexeï et toutes ces p’tites culottes qui volaient dans sa tête !??
– Ok papa. Je veux bien moi…??
– Reprends un verre, petit. D’la Vodka !??
– Tu bois vraiment trop papa. Maman s’est barré à cause de ça je crois…
??– Ah là tu abordes une question philosophique, et le grand Léon Zitrone ne disait-il pas : « Il m’ont cassé mes lunettes, Guy ! Je n’y vois pas ! ».??
– Mais ça n’a rien à voir papa ! Arrête de boire…??
– Tais-toi ! Écoute la suite, ça vaut le coup !
Alors, Alexeï Grigoryevich S., dans les profondeurs de la mine, se laissait bercer par cette chanson, par ces rêves de liberté et de douceur, tout en continuant de lutter, de résister, de ne pas céder. Car au fond, c'est peut-être là, dans cette résistance silencieuse, qu'il trouvait sa véritable liberté, sa véritable humanité. Comme les bœufs de Rosa Bonheur labourant à Nevers, il avançait, pas après pas, chaque coup de pioche résonnant comme un écho de sa détermination.
Labourage nivernais, dit aussi Le Sombrage, est une peinture à l'huile sur toile (133 × 260 cm) réalisée en 1849 par Rosa Bonheur et conservée au musée d'Orsay.
Dans l'obscurité de la mine, les parois rocheuses semblaient murmurer des histoires anciennes, des récits de luttes et de triomphes oubliés. Alexeï, tel un sculpteur de l'ombre, façonnait la terre avec une précision presque artistique. Chaque goutte de sueur, chaque muscle tendu, était une offrande à cette terre qui, en retour, lui offrait sa résistance, son défi.
??– Cul sec ! Allez tricheur !??
– Mais…??
– Y’a pas d’mais ! T’es pas le fils d’un pédéraste iconoclaste si ???
– Pouaah ! C’est dégueulasse…!
??– C’est l’âme Russe ça, parfois elle ressort toute entière, et là tu verrais la gueule de ta mère !!! HAHAHA ! Écoute un peu la suite :
Et puis, il y avait l'alcool. Ce compagnon fidèle qui, après chaque journée de labeur, venait adoucir les angles de la réalité. La vodka, claire et brûlante, coulait dans sa gorge comme un feu purificateur, lavant les peines et les doutes. Dans ces moments d'ivresse, Alexeï se sentait plus léger, plus libre. Les chaînes de la mine semblaient se desserrer, son string se relâcher, et il pouvait enfin rêver, rêver à un monde où les hommes ne seraient plus esclaves de leur labeur, où la liberté ne serait pas un mirage lointain.
??– Youhou ! Je pisse sans les mains ! Quelle joie !
??– Oh non…??
– Toi aussi tu seras fort comme un Russkof ! Popov !
??– C’est Paul papa…
??– J’aurais bien aimé Popov, mais c’est ta mère, ta mère, ta mèreuuuh…Elle voulait écouter que les Beatles ! Cette merde somptueuse mélopée de musique de bobos d’mes fesses jeunes !??
– Ben c’est plutôt bien les Beatles, non ? Et puis Paul, c’est mieux que Popov.??
– Ah ben si tu l’dit…Bon y’en a plus dans l’placard, va m’en chercher chez Ibrahim Touré notre épicier malien, Popov !??
– Oui, d’accord papa…??
– Moi je vais continuer sur ma lancée !
Les vapeurs de l'alcool se mêlaient à ses pensées, créant un tableau surréaliste où les bœufs de Rosa Bonheur labouraient non plus des champs, mais des cieux étoilés. Leurs sabots foulaient des nuages, et leurs souffles se transformaient en brumes dorées. Alexeï, avec son esprit limité, se voyait parmi eux, guidant ces créatures majestueuses vers des horizons inexplorés.
La mine devenait alors un sanctuaire, un lieu où les rêves pouvaient prendre forme, où les espoirs pouvaient germer. Chaque gorgée de vodka était une gorgée de courage, une promesse de lendemains meilleurs. Alexeï buvait à la santé des mineurs, à la santé des rêveurs, à la santé de ceux qui, comme lui, refusaient de plier sous le poids de l'adversité même si en fait ils jouaient malgré eux le jeux des puissants, se prenant pour des rebelles alors qu’en fait ils ne servaient sans doute qu’un temps sans quitter leur rang.
Et dans ces moments de grâce éphémère, il se souvenait des paroles de la chanson de Michel, transformées par son âme slave en un hymne à la résilience :
« Faiiis commeeuuuh le mineureuuh, Alexeï, prends ta pioche et ton courage, Descends dans les profondeurs, où la lumière n'ose s'aventurer. Faiiis commeeuuuh le mineureuuh, Alexeï, creuse la terre et oublie
la paixtes peines, Car dans les ténèbres, tu trouveras peut-être un semblant depeinepaix. »
Les petites culottes des belles femmes, symbole de douceur et de féminité, dansaient dans son esprit comme des lucioles dans la nuit. Elles représentaient tout ce qu'il n'avait pas, tout ce qu'il désirait, tout ce qui lui permettait de continuer, de résister, de ne pas céder.
– « La tentation mon petit, la tentation…LA SUS-TENTATION ! »
Ainsi, dans les profondeurs de la mine, Alexeï Grigoryevich S. trouvait sa véritable liberté, sa véritable humanité. Dans chaque coup de pioche, dans chaque gorgée de vodka, dans chaque rêve de douceur, il sculptait son destin, il façonnait son âme. Et dans cette résistance silencieuse, il devenait plus qu'un mineur, plus qu'un homme. Il devenait un poète de l'ombre, un artiste de la résilience, un rêveur éternel.
??Voilà. Ça en jette non ?
??Bon faut avouer que sur ce coup là, j’ai un peu honte. Pourtant j’ai tout donné.…Les p’tites culottes encore, avec un revival 90’s ça passe non ? Non. D’accord. C'est sordide de connerie ?
Et l’alcoolisme, la peinture sociale, le réalisme soviétique ? Tout y est non ? C’est pas drôle ? Bon. J’accuse le coup, là. J’y croyais à fond là. Ils vont m’adorer ces cons là ! J’vais être une superstar de l’humour et tout et tout…Non ? Bon d’accord.
C’est médiocre ? Vous êtes durs. Même pas ? C’est archi nul ? Non quand même pas là ? Allez hé, j’ai mis du Kant et du Rousseau là ! Je fais l’Olympia à ce tarif là, non ? Et puis Zitrone…c’est quand même pas dépassé si ? Si.
Ok. […] Ben ça alors. Ah vous z’êtes dur quand même. C’est pas du boulot ?
Ah. Pourtant, j’en ai sué là ! J’en ai soif d’ailleurs. Vous allez pas boire un verre après par hasard ? Parce que là, ça me ferait du bien là. Vous buvez pas ? C’est pas vrai ? Ça doit être pour ça. Parce que là quand même j’ai mis le paquet non ? Comme les humoristes de talent savent le faire non ? Non.
Vous vous déridez pas facilement vous, hein ? Pourquoi je dis ça ? Ben on ressent bien le malaise quand même ! […] Vous êtes pas emballés emballés mais y’a du talent non ? J’ai vachement appris en tout cas. Faut dire que j’en fais jamais moi de l’humour. Mon père, il était mineur. […] On avait pas l’temps. Ah ça, je vois que ça vous fait sourire ! Ah ben quand même ! Y’a de l’espoir ! Ah c’est super ça ! La vache ! Ah vous z’êtes forts quand même hein ! J’y ai presque cru hé ! Hein ? Ah ouais hé ! Hé ! Ho !
Ah les cons ben ça ! Comment que vous vous barrez là comme ça sans boire un coup sans me féliciter ? Ah ben dis donc, c’est l’chaud froid là ! Bon ben…tant pis…
Bon je vais m’entrainer pour l’prochain, c’est l’histoire d’un handicapé épileptique qui joue au pongiste dans l’noir avec la raquette au front, pour éviter les crises. On va se marrer ! L'écriture, quel taf !? Et pis après en plus, faut l'jouer ! C'est pas une sinécure…Quel travail !
Nota bene : Au delà des apparences, des simples formalismes, de ce qui semble mais ne demeure pas, le honte peut changer de camp. N'étant pas russophone ni ukrainophone (Je baragouine en bon breton un peu de Français, d'Italien racinaire et d'Anglais toeiqué), ayant la capacité linguistique et l'affinité culturelle en mode mineur, je ne mettrais pas ma vie en jeu pour un article de blog suspect. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Vous remarquerez le retour en grâce de Léon qui nous manquait un peu, lui qui parlait six langues…et lèche-culait flattait un peu du Général et du Guy Lux, il faut l'avouer…Pilori. Pilori. Pilori. Censure. Guillotine. Tchac !
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