Le sérieux démystifié
Une question de posture.
Le sérieux est souvent perçu comme une qualité indispensable dans de nombreux domaines. En littérature, un auteur sérieux est celui qui aborde des sujets profonds avec gravité. En politique, un leader sérieux est celui qui prend des décisions réfléchies et mesurées. Cependant, démystifier le sérieux, c'est reconnaître que la légèreté, l'humour et l'ironie peuvent également être des outils puissants. Le sérieux, un mot lourd de sens, souvent attribué à la gravité des idées ou des actions, n’est-il pas, au fond, une simple posture ? ??
Tout au long de l’histoire, des philosophies aux arts, en passant par les arènes politiques, le sérieux a été revendiqué comme un gage de légitimité. Il a souvent été pris pour argent comptant, érigé en vertu, sans se soucier de la véritable nature de ceux qui l’adoptent. Mais qu’en est-il lorsque le sérieux se trouve mis à nu ? Lorsqu’on le déconstruit pour dévoiler non pas la grandeur des idées, mais le jeu des postures derrière lesquelles elles se dissimulent ?
Le plafond de la chapelle Sixtine comprend principalement une fresque réalisée par Michel-Ange entre 1508 et 1512 et inaugurée par le pape Jules II le 31 octobre 1512 ; c'est un chef-d'œuvre de la peinture de la Renaissance italienne considéré comme l'un des plus importants de l'art occidental.
Prenons la politique, par exemple. Que nous soyons dans un café du commerce à débattre des « derniers exploits » des politiciens ou dans un forum international, il existe une frontière ténue entre l’apparence de sérieux et le masque de l’hypocrisie. Les discours sont souvent des constructions soignées, étudiées pour répondre à des attentes spécifiques, pour séduire, pour manipuler. Mais cette architecture verbale n’est-elle pas, en elle-même, un simulacre du sérieux, un masque qui fait écho aux rituels de la scène théâtrale ? « Voilà ta mouche Merteuil ! »
La philosophie, elle aussi, s’y adonne. On se rappelle des grands penseurs, ceux dont les noms sont synonyme de poids intellectuel. Socrate, Aristote…Et pourtant, en les écoutant, on se rend compte qu’une part de leur pensée est simplement une réponse à des normes du sérieux qu’ils ont eux-mêmes adoptées ou contestées. Lourdeurs ampoulées de réflexions diffuses…Que dire des tenants du nihilisme, du relativisme, qui ont su jouer de cette même posture du « sérieux » tout en érodant, comme des sculpteurs de l’absurde, l’idée même de certitude ? Ce dont nous sommes sûrs, c'est qu'on est sûr de rien !
Et dans le domaine de la peinture et des arts, il est fascinant de voir combien l’on associe souvent l’œuvre d’art à une forme de « grandeur » ou de « gravité ». Les grands maîtres, les figures imposantes de l’histoire de l’art, semblent imprégnés de sérieux. Pourtant, nombre d’artistes ont pris le contre-pied de cette image. Des horloges fondantes, aux figures fragmentées dans la déconstruction de l'image, il faut réduire le sérieux au silence du regard.
Parfois, il suffit de jeter un coup d'œil au tableau, de contempler l’anonymat du modèle ou l’absurde de la scène pour qu’apparaisse une vérité plus fugace mais plus poignante : le sérieux est, comme tout le reste, une construction. Mais pour que la construction tienne debout, que la réflexion ait des fondations solides, il faut savoir à qui l’on s’adresse et comment.?? Car personne ne veut exposer au salon des indépendants…
Connaître son public est fondamental pour toute forme de communication. En littérature, un auteur doit comprendre les attentes et les sensibilités de ses lecteurs pour les toucher efficacement. En politique, un discours bien ciblé peut rallier des soutiens et mobiliser les foules. Force sondages, pour mieux cerner, de la troupe en alipage, la direction est donnée.
En philosophie, adapter son langage et ses exemples aux connaissances préalables de son auditoire permet de rendre des concepts complexes accessibles. Dans les arts, savoir à qui l’on s’adresse permet de choisir les formes et les styles qui résonneront le plus avec le public visé. Même Madame Michu au café du commerce adapte ses propos en fonction de ses interlocuteurs, utilisant des anecdotes et des références qui leur sont familières. « C'est l'histoire d'un mec, il rentre dans un bar… »
La cohérence et le corpus : une illusion d’objectivité
Mais alors, qu’en est-il de la cohérence, de la nécessité d’un corpus solide pour soutenir nos propos ? La cohérence est souvent perçue comme une condition sine qua non de toute argumentation. Elle semble être le garant de la validité d’un discours, qu’il soit philosophique, politique, ou même artistique. Mais la vérité est que la cohérence elle-même est tributaire de conventions et de contextes. Elle repose sur des bases qui peuvent, à tout moment, être mises en crise. Ce que l’on entend aujourd’hui par « corpus », un ensemble de références solides et acceptées, n’est jamais que le reflet des croyances dominantes d’une époque. Abreuvez-moi de citations, mon eau se trouble en pamoisons, ma vie n'est rien sans cette chanson…Il faut être « fan de…».
Détruire l’image, réduire l’anonymat relatif des discours, c’est aussi, en quelque sorte, remettre en cause cette notion même de cohérence. La politique n’est-elle pas un parfait exemple de ce jeu entre cohérence apparente et manipulation des masses ? Les partis se battent non pas toujours sur le fond, mais sur la manière de présenter un ensemble d’idées de façon ordonnée, de façon à donner l’illusion que tout s’imbrique parfaitement, même lorsque les réalités sont bien plus fragmentées. Le discours politique fait la part belle aux « grands récits », mais ces récits sont toujours en construction, constamment réajustés pour correspondre aux attentes du public. Dis-moi ce que tu veux, je te dirai qui tu es.
Et que dire des arts, où la cohérence est parfois un mensonge nécessaire ? Le cubisme brise l’unité visuelle, le surréalisme conteste la logique spatiale et temporelle, l’impressionnisme remet en cause la vision des couleurs et de la touche. Dans ces mouvements, l’image n’est pas l’expression d’un monde cohérent, mais plutôt une brèche dans l’univers préétabli de la perception. L'art, ainsi, se fait le déconstructeur des certitudes passées, la succession de manifestes, le porte-voix de postures. Existe-t-il encore un art neuf ? D’autres regards ? Pas sûr…car dans le domaine des idées comme dans celui de l’art on a parfois l’étrange impression que tout est déjà dit, d’une manière ou d’une autre. Pourtant l’on s’émerveille encore. Il nous faudrait relire Hegel.
L’anonymat relatif : déconstruire la représentation
La notion d’anonymat relatif, en apparence, semble antithétique à l’idée même de sérieux. Après tout, qui peut être pris au sérieux sans identité clairement définie, sans un corps qui l’incarne ? Pourtant, si l’on réfléchit aux représentations contemporaines — des avatars sur les réseaux sociaux aux figures anonymes des grands discours politiques — on se rend compte que l’anonymat relatif n’est pas une négation de la légitimité, mais bien une part intégrante de notre époque. L'anonymat devient un moyen, une stratégie de neutralisation, de dépersonnalisation. Si on ne nous connaît pas, si nous n'avons pas de visage à identifier, nous sommes d'autant plus libres de jouer avec les postures, de manipuler les attentes.??
« L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. » Albert Camus.
– ℹ Intermède café du commerce.
Pour aborder la question de la probabilité que Madame Michu ait une opinion valable, nous pouvons utiliser des concepts de théorie des probabilités et de statistiques. Voici une démonstration mathématique simplifiée pour illustrer cette idée :
Hypothèses de base
Définition d'une opinion valable : Supposons qu'une opinion est considérée comme valable si elle est basée sur des faits vérifiables et/ou une expertise reconnue dans le domaine concerné même si elle est très faible voire inexistante.
Connaissances de Madame Michu : Supposons que Madame Michu a une certaine probabilité p d'avoir des connaissances suffisantes dans un domaine donné pour que son opinion soit valable. Nous n'ajouterons pas le nombre de verres nécessaires pour que ces opinions soient également valables car parfois, et aussi étonnant que cela puisse paraître, Michu ne boit pas du tout. Ce qui vous laisse entrevoir le degré de
conneriel'alcool de notre éditorialiste.Indépendance des opinions : Supposons que chaque opinion émise par Madame Michu est indépendante des autres. Encore une supposition hautement improbable, passons.
Modélisation mathématique
Probabilité d'une opinion valable :
- Soit p la probabilité que Madame Michu ait une opinion valable sur un sujet donné.
- La probabilité qu'elle n'ait pas une opinion valable est donc de : 1 – p.
Opinions multiples :
- Si Madame Michu émet n opinions indépendantes, la probabilité qu'au moins une de ces opinions soit valable peut être calculée en utilisant la probabilité complémentaire.
- La probabilité que toutes ses opinions soient non valables est :
(1 – p)n - Donc, la probabilité qu'au moins une opinion soit valable est :
1 – (1 – p)n
Exemple numérique
Supposons que p = 0.3 (c'est-à-dire que Madame Michu a une probabilité de 30% d'avoir une opinion valable sur un sujet donné, une gageure !) et qu'elle émet n = 5 opinions (Ce qui fait à peine une demie opinion par verre).
1/ Calcul de la probabilité complémentaire :
p (toutes non valables) = (1 – 0.3)5 = 0.75 ≈ 0.168
2/ Probabilité qu'au moins une opinion soit valable :
p (au moins une valable) = 1 – 0.168 = 0.832
Ainsi, dans cet exemple, il y a environ 83.2% de chances qu'au moins une des cinq opinions de Madame Michu soit valable. Ce qui fait quand même beaucoup. De là, à remettre en cause la politique nationale, il n'y a qu'un pas, un petit pas pour l'homme, mais un pas de géant pour la mère Michu !
– ℹ Vous pouvez reprendre une activité normale.
Même dans les lieux les plus prosaïques, comme un café du commerce où Madame Michu discute avec ses voisins de tout et de rien, l’anonymat joue un rôle important, même si là, tout le monde la connaît. D'ailleurs, pour le silence déraisonnable du monde, on repassera à la fermeture. La dame, ce n’est pas tant ce qu’elle dit qui importe, mais la manière dont elle le dit, le ton qu’elle prend, le sérieux apparent avec lequel elle fait part de ses idées. On pourrait penser que dans ces espaces-là, où l’on se sent en sécurité derrière des masques d’ignorance ou de conformisme, la parole est plus libre. Et pourtant, à l’instar des grandes figures politiques ou philosophiques, ce sont souvent les postures adoptées qui façonnent la réception de ce discours. La phrase banale se transforme en verbe puissant dès lors qu’elle est assise sur un socle de sérieux imposé par l’orateur.
« Les gens qui ne sont pas cultivés, ceux qui n'ont pas un capital culturel élevé, sont souvent réduits à des stéréotypes, comme Madame Michu, un personnage fictif de la culture populaire, considéré comme ignorant ou dénué d'opinion valable dans le discours public. » Pierre Bourdieu.
Il faut déconstruire, remettre en question, mais aussi proposer des visions alternatives où le sérieux apparent se voit remis en cause par l’esprit critique. C’est une danse, un jeu de miroirs où l’auditoire, à chaque étape, doit se rappeler que tout, absolument tout, peut être réinventé. C’est sans doute le jeu de la dialectique. Un jeu dont Madame Michu à entendu parler sur les bancs de l’école qu’elle a un jour fréquentée mais qu’elle a depuis oubliée, accaparée par les activités aliénantes des femmes modernes.??
Pourtant, il semble bien que la pratique quotidienne de notre charmant(e) échantillon sociologique soit bien éloignée de la joute philosophique Grecque. Quant à son discours, il est plus souvent la preuve d’une habileté à enfiler les clichés comme autant de perles sur le collier de l’analyse véritable. Le bon sens populaire ? Existe-t-il vraiment ? Tient-il son rang face à la vision technocratique, où les postures littéraires sont drapées d’une aura académique en khâgneux ?
Autant d'espaces d’élaboration de la cohérence et de l'anonymat relatif dont on parlait plus tôt, puisque dans ces environnements, les élèves apprennent non seulement des contenus spécifiques, mais aussi comment manipuler, déconstruire et remettre en question les idées reçues, les postures intellectuelles et même les « grands récits » de la culture, comme on déclare son patrimoine…
Peut-elle seulement rivaliser, la Michu au comptoir, avec son chardonnay cinq étoiles ? Plus vraiment. Pourtant elle pense, donc j’essuie. Et c’est bien là tout le problème ! Parce que le hiatus entre le café du commerce et les lieux de pouvoir se réduit, la buvette de l’assemblée n’est pas, à proprement parler, un lieu de commerce non plus…quoique. Commerce du verbiage, défense des Français, loin de nous ces prétoires du muscadet, au revers duquel les outrages, en fond de cale nous endormaient ! Simple pinardier, alcooliques volontaires, prenez de la hauteur car l’enjeu nous étreint, des méninges, la sueur, sans ambages nous retire du pétrin ! Santé ! Marseillaise, garde à vous ! Repos, coucouche panier !
Nota bene : Pourquoi la chapelle Sixtine ? Ah ça en jette hein ! Personne la ramène là, hein ? Si ? […] Bon. La mise en abyme et tout et tout…Du grand art ! Fin de semaine, on se relâche, on commence à picoler (Vous hein ! Pas moi ! Entendons-nous bien, sinon je ne pourrais pas écrire grand chose non plus, c'est un métier ça !). Et voilà ! On a des opinions ma bonne dame ! Et bien c'est pas dommage qu'elles soient si anonymes, si ? Mais non ! Mais si. Ah bon ? Allez, coucouche panier ! Bien à vous.
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