Parole d’argent

@JeSuisMortMaisJTwiiitte

La parole est d’argent, le silence est d’or, certes. Mais, à l’ère numérique, il serait plus juste de dire que la parole est une monnaie de singe et le silence, un luxe dont plus personne ne veut. Car, aujourd'hui, se taire, c'est l’acte de ceux qui ont encore un peu d'honneur, d'intellect, ou, disons-le franchement, de fierté mal placée. Dans ce monde où chaque souffle se vend au prix de l'engouement, le silence est désormais la plus belle forme de défaite. Un déclin silencieux dans un univers où tout crie son inutilité, mais où personne n’est prêt à l’admettre.

« La Mort de Démosthène », Michel Martin Drolling, 1806, huile sur toile, 113 x 145,5 cm, 1864-1 Legs comte de Silguy, Musée des Beaux-arts de Quimper, France. « La Mort de Démosthène », Michel Martin Drolling, 1806, huile sur toile, 113 x 145,5 cm, 1864-1 Legs comte de Silguy, Musée des Beaux-arts de Quimper, France.

« En réfléchissant autour de ces questions, Geneviève relève que : “Si la parole est d'argent, le silence est d'or”, dit-on, mais il semble y avoir un retournement de situation aujourd'hui. Nous vivons dans une société de complexité à tel point que se résigner ou rester dans son coin silencieux, ne peut nullement procurer ni quiétude ni confort, encore moins de l'or. » — (André H. Caron & Letizia Caronia, Culture mobile: les nouvelles pratiques de communication, page 40, Presses de l’Université de Montréal, 2005)

Ah, la parole ! Quelle douce torture. Sur les réseaux sociaux, elle est la vomissure d’une civilisation qui a perdu toute notion de l'échange. Les mots n'ont plus de poids, mais ils sont échangés à la vitesse de la lumière. Et qu’importe s’ils n’ont aucun sens. D’ailleurs, qui cherche encore un sens ? Le mot d'ordre est de parler, encore et toujours, comme si la parole elle-même pouvait combler ce vide abyssal dans lequel nous plongeons tous un peu plus chaque jour. Le silence ? Quel gaspillage ! Il faut parler, parler pour exister, pour que l'algorithme te remarque, pour que quelqu’un, quelque part, vienne poser un « Like pouce » complice sur ton insignifiance. « Like coeur avec une flêche ». Swiiitche Hauff.

« La reprise et le renversement du lieu commun (la parole est d'argent, le silence est d'or) affirme non seulement la possibilité, mais la légitimité du discours lyrique à l'ère postconcentrationnaire, […]. » — (Jean Bessière & Judit Maár, L'écriture emprisonnée, page 131, L'Harmattan, 2007)

La logorrhée verbale n'est plus un vice. C’est une arme de guerre. Chaque post, chaque message, chaque vidéo est une balle tirée dans l’espoir d’attirer l’attention. Et quel est l’objet de cette attention ? Le vide. Le néant.

« L’homme qui ne parle pas dans la salle vide n'existe pas », écrivait Jean-Paul Sartre.

Mais ce n’est plus une salle vide. C’est une arène virtuelle, saturée de voix qui se hurlent dessus comme des chimpanzés à la recherche de la dernière banane. Il n’y a plus de conversation, plus de dialogue. Il y a du bruit. Du bruit qui se donne des airs de parole, mais qui n’est en réalité que du vent numérique, du verbiage insipide, une sorte de râle collectif, continuellement repoussé dans l’au-delà de l’inutile.

C’est là le cynisme ultime. On parle pour ne rien dire, et pourtant, on a l’illusion que la parole porte encore. On croit qu’il suffit de « partager » son opinion pour qu’elle ait une valeur. « Exprime-toi, la liberté d’expression est sacrée ! » disent-ils. Mais la liberté d'expression n'est-elle pas un concept dérisoire quand elle est utilisée comme une marchandise à distribuer à des milliards de voyeurs qui, pour la plupart, ne cherchent que leur propre reflet ? L’expression ne libère rien. Elle aliène, elle enferme, elle consume. Tout ça pour quel but ? Être entendu par une masse amorphe d’avatars qui ne te regardent même pas, qui ne te comprennent même pas.

– ℹ Intermède mot à mot…

Pourrait-on calculer la puissance des mots ? On pourrait tout à fait transformer cette notion abstraite en un concept mathématique si on s’amuse un peu avec l’idée.

1/ Formule Mathématique de la Puissance des Mots

Imaginons qu'on définisse la « puissance » d’un mot par un indice qui soit une combinaison de plusieurs facteurs :

S = la signification du mot. C’est-à-dire l’impact subjectif qu’il a sur une personne.

F = la fréquence d’utilisation du mot. Un mot peu utilisé a potentiellement plus de « poids » s’il est rare.

C = le contexte dans lequel il est dit. Par exemple, un mot prononcé par un politicien aura une puissance différente si on le prononce entre amis.

E = l’émotion que ce mot provoque. Un mot qui fait rire, pleurer, ou même réagir violemment a une certaine “charge émotionnelle”.

Alors, on pourrait formuler la puissance d’un mot comme ceci :

$$ P = S \times F \times C \times E $$

Cette formule est bien entendu subjective, et chaque facteur peut être pondéré de différentes manières selon l’importance que l’on veut donner à chaque élément. Ce qui en gros, au pinacle de la vulgarisation, ne veut plus dire grand chose. D'où le silence qui en découle.

2/ Démonstration et Cynisme

Disons qu'on utilise le mot « liberté », un mot apparemment très puissant.

S (Signification) : C’est un mot lourd de sens, plein d’histoire. Il évoque des luttes, des révolutions, des idéaux. Disons qu’on lui donne un score de 9/10 sur l’échelle de signification.

F (Fréquence) : « Liberté » est un mot utilisé constamment dans les discours politiques, les chansons et les déclarations officielles. Sa fréquence est donc élevée, mais pas exceptionnelle, car il est omniprésent. On pourrait lui donner un score de 7/10 pour la fréquence.

C (Contexte) : Ah, mais dans quel contexte est-il utilisé ? Si c’est dans une fête de quartier, ça n’a pas le même impact que dans un discours présidentiel ou dans une chanson révolutionnaire. Prenons un contexte où ce mot est prononcé par un chef d'État lors d'une crise politique. Dans ce cas, le contexte augmente énormément sa puissance. Disons qu’il obtient un 8/10 en contexte.

E (Émotion) : La « liberté » évoque des émotions puissantes, surtout en période de lutte sociale. Mais tout dépend du ton employé. Si c’est dit d’une manière plate, sans conviction, cela pourrait être moindre. Donnons-lui un score de 8/10 pour l’émotion.

Donc, la puissance du mot « liberté » dans ce contexte serait :

$$ P = 9 \times 7 \times 8 \times 8 = 4032 $$

Une puissance assez élevée quand même, n'est-ce pas ? Ça vous rend silencieux ? Attendez, partez pas, c'est pas fini !

Et si on essayait : « Prognate ». Le mot « prognate » n’est pas très courant, donc ça va être un calcul extraordinairement simple.

S (Signification) : « Prognate » fait référence à un aspect anatomique, plus précisément à une déformation de la mâchoire qui fait que les dents supérieures sont projetées vers l’avant. C’est un terme technique, pas très poétique. On lui attribuera donc un score de 3/10 en signification.

F (Fréquence) : « Prognate » est un terme très spécifique utilisé dans des contextes médicaux ou scientifiques. Il est donc relativement peu fréquent, voire rare. Donnons-lui un score de 2/10 pour la fréquence.

C (Contexte) : En dehors de discussions médicales ou anthropologiques, ce mot n’a pas vraiment de “contexte riche”. C’est un terme qui n’évoque rien de particulier dans la culture populaire. Score : 3/10.

E (Émotion) : « Prognate » évoque surtout des considérations de santé et d’anatomie. Il ne suscite pas d’émotions fortes, à moins d’être un orthodontiste ou un patient préoccupé. C’est donc un score assez bas en émotion : 2/10.

Calcul de la puissance pour « prognate » :

$$ P = 3 \times 2 \times 3 \times 2 = 36 $$

La puissance du mot « prognate » est faible. Un mot qui n’évoque ni passion, ni fréquence populaire, ni même un contexte particulièrement engageant, à part dans un moment de morsure rageur sur une merguez au barbecue du coin.

3/ La formule étendue de la puissance des mots.

On va prendre la formule simple et y ajouter des éléments pour modéliser l'impact d'un mot d'une manière vraiment plus mathématiquement rigoureuse :

$$ P = S \times F \times C \times E \times \left( 1 + \frac{R}{10} \right) \times \left( 1 + \frac{K}{10} \right) $$

On ajoute à la formule précédente :

R : Résonance sociale (l'impact du mot dans le collectif social, sa capacité à mobiliser les foules, sa charge dans des discours publics ou historiques).

K : Capital symbolique (l’effet d’une certaine « célébrité » du mot ou de son porte-parole, par exemple, un mot venant d’un philosophe ou d’un leader historique).

Application à « Prognate » :

Donc, pour « prognate », on a :

$$ P_{\text{prognate}} = 3 \times 2 \times 3 \times 2 \times \left( 1 + \frac{1}{10} \right) \times \left( 1 + \frac{1}{10} \right) $$

$$ P_{\text{prognate}} = 3 \times 2 \times 3 \times 2 \times 1.1 \times 1.1 = 39.24 $$

Pas de grande surprise. Le mot reste relativement faible. Par contre, il vaut mieux éviter de le dire aux intéressés car bien souvent la faiblesse du mot ne reflète pas la faiblesse du reste. Ce qui, convenons-en, peut poser problème aux urgences de Trifouilly-les-Oies sur Baïse par le nombre de points nécessaires à mettre sur les « i ». Sanguinolente souffrance de la parole sans liberté de con ton. Paroles, paroles…

– ℹ Ça vous la coupe hein ?

Et là, nous tombons dans l’absurde, car le plus grand mensonge que l’on nous vend depuis des années, c’est celui de la « connectivité ». Nous sommes connectés à tout et à rien. Nous sommes à un « clic » d’une personne à l’autre, mais n’avons plus aucune relation réelle. Nos interactions sont superficielles. Elles ne sont qu’un enchaînement de répliques dénuées de sens. « Parlez, partagez, soyez vus », dit-on. Mais qui écoute vraiment ? Qui prend la peine de plonger dans le contenu, d'écouter le souffle entre les mots ? Personne. Ou pire, tout le monde.

Et dans ce cirque de paroles futiles, la critique du silence s'impose comme la forme ultime de cynisme. Ceux qui choisissent de se taire sont ceux qui ont compris la farce. Ils ne sont ni déprimés ni dépassés. Non, ils sont simplement lucides. Lucides sur l'absurdité d’un monde qui célèbre l’expression mais qui la dévalue à chaque nouvelle déclaration. Quoi de plus futile que de parler à des murs numériques ? Le silence, au fond, devient le dernier refuge de la vérité. Pas le silence figé de la soumission, mais celui de l'indifférence. Parce qu'il faut du courage pour ne pas hurler dans ce vacarme incessant, et encore plus pour ne pas se laisser emporter dans ce torrent de paroles inutiles. Le silence est un cri qui ne sert à rien, mais aujourd’hui, on pourrait ajouter que le bruit est un cri qui ne sert à rien non plus. Un bruit dont le seul objectif est de faire croire à l’illusion de l’existence.

La prolepse de ce combat, c’est précisément l'art d'annoncer un monde où la parole, enfin, redeviendra rare et précieuse. Où l'on cessera d'échanger des vidéos, des gifs, des images parfaites et des pépiements vides de cervelles d'oiseaux pour revenir à la parole authentique, celle qui ne cherche pas à plaire, mais à convaincre. Là réside le défi : dans un monde saturé de bruit, qui ose encore se taire ? Qui ose encore penser avant de parler ? Qui ose choisir l’authenticité plutôt que la célébrité instantanée ?

Et pourtant, ne soyons pas dupes. Cette révolution silencieuse, cette résistance à la logorrhée verbale, n’aura pas lieu. Pourquoi ? Parce que tout le monde aime son petit instant de gloire. Un like, un commentaire, une mention : voilà ce que l’on cherche. L’illusion de la reconnaissance. Car, au fond, se taire, c’est risquer de n’être rien. Et qui peut se permettre d’être rien dans un monde où tout, absolument tout, est une compétition pour exister ?

Alors, oui, le silence est d'or. Mais à l'ère numérique, l'or est une illusion cryptomonnaie, et la parole un fiat qui se dévalue à chaque clic. Nous pourrions entendre cette proposition comme une ouverture symphonique sur le silence. Une sorte de revanche cryptée du « Tar ta gueule ! » de nos ancêtres appliquée au prognathisme d’une époque cacophonique. Les australopithèques du verbiage sont les futurs « Ronsard » du pépiement simpliste. (cf. Profil de Pierrot les jolis vers : @JeSuisMortMaisJTwiiitte : Avec une bio du genre :? « Poète qui a vécu, aimé, et est désormais redevenu poussière en 280 caractères. #PlatoniqueEtFoutu #RosesSansPublic #JTwiiittePdtQueJpeuxEncor ». Il faut avouer qu’avec not' bon vieux Pierrot on est pas loin du repos complet, voire éternel même…c’est dire la force de son message.??

« Les mots sont les messagers de l'âme, et le silence est le repos qui leur donne toute leur force. » Pierre de Ronsard.

Parler en peu de mots de cette situation c’est déjà trop en dire, c’est perdre trop d’argent, c’est transformer l’or en plomb. Vertiges de la communication, pendant que derrière le paravent de nos médiocrités nous ignorons le massacre…Cela doit être utile pour échanger rapidement un point de vue résumé à peu de mots, comme un fond de verre rempli de mégots. Le « Witz » préhistorique avec une massue, quand maintenant on réplique en se prenant pour Wittgenstein avec une « élleipsis » finale…

Nota Bene : Punaise, le message de dingue là ! J'en suis tout ému. Je vais changer la face de l'univers si jamais il a un visage, c'est sûr ! Si en plus y'a des cons gens qui veulent me répondre, là c'est gagné ! C'est le pompon ! À moi le divan des dimanches à la télé, les interviews cash dans tag… avec les sommités…Je pourrais frimer dans l'espace public, les femmes me supplieront pour des faveurs, les hommes me jalouseront comme des lèches-faux, je serais l'Appolon du verbe, l'Eros textuel du bonheur, l'incendiaire des réseaux, le roi trololo des matadors ! Vivement que je valide mon loto et que le silence soit d'or…

#or #argent #silence #prognate #ronsardtamère

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