Profondeurs

Ce qui reste de nous.

Dans l'immensité, où scintillent des larmes oubliées, se tient un individu. Un être solitaire, sans importance collective, perdu dans le tourbillon de l'existence. Il est tout juste un individu, une particule de poussière dans l'infini, un écho silencieux dans le vacarme du monde. Il n’est rien ou pas grand chose, pas plus fort, pas plus intelligent, pas plus vivant qu’un autre.

Cet être né de la fosse abyssale qui le sépare de ce qu'il peut produire et de ce qu'il peut imaginer ne vit plus que pour cette confrontation créative. Il est devenu titan technologique, capable de détruire des mondes, mais également nain éthique, incapable de comprendre les conséquences de ses actes. Dans cette perspective, écrasé par la démesure, de ses propres créations, il se réduit à une insignifiance ontologique.

Pourtant, dans cette insignifiance, réside une beauté tragique. L'individu, dépouillé de ses illusions collectives, se retrouve face à lui-même, nu et vulnérable. C'est dans cette nudité qu'il peut redécouvrir l'essence de son humanité, non pas comme un rouage dans une machine sociale, mais comme un être unique, porteur de ses propres rêves et de ses propres peurs.

Hope (« Espoir » ou « Espérance ») est une peinture à l'huile réalisée par le peintre anglais George Frederic Watts. Ce dernier a achevé les deux premières versions de l'œuvre en 1886. Hope (« Espoir » ou « Espérance ») George Frederic Watts, 1886, huile sur toile, 111,8 × 142,2 cm, Tate Britain.

L'enfance, cette période bénie où l'innocence règne en maître, est à jamais perdue. Les jouets, compagnons de nos premiers émerveillements, sont relégués aux oubliettes. Nous apprenons à délaisser ces trésors d'antan, à oublier les rires et les jeux, pour affronter la dure réalité du monde des grands. La confrontation avec la nature humaine, sa bassesse, son esprit grégaire et conformiste, nous plonge dans un abîme de désillusions. Nos jouets sont adultes, ils rient de nous maintenant. Il faut penser comme un tel, suivre les désirs d’un autre, choisir des non sens, explorer le monde pour trouver sa raison, rembourser les devoirs, saborder ses espoirs pour prolonger leur existence.

La nostalgie, cette douce mélancolie qui nous lie au passé, devient alors un obstacle à surmonter. Elle nous enchaîne à des souvenirs révolus, à des utopies perdues, nous empêchant de voir les possibilités qui s'ouvrent devant nous. Il nous faut dépasser cette nostalgie, non pas en l'oubliant, mais en l'intégrant dans une vision plus vaste, où le passé devient un saut vers l'avenir. Il nous faut transcender cette nostalgie, non pas en l'effaçant, mais en l'intégrant dans une perspective plus vaste, où le passé devient un tremplin vers l'avenir. Il nous faut également veiller à ne pas nous élancer trop haut, de peur de chuter plus bas, de nous briser les ailes et de ne plus pouvoir savourer la sérénité radieuse des petits matins calmes que nous rêvions jadis de savourer sans délai.

Le principe d'espérance nous invite à regarder au-delà de l'horizon, à imaginer un monde où l'individu retrouve sa place, non pas comme un atome isolé, mais comme une étincelle de conscience dans un univers en perpétuelle évolution. L'espérance n'est pas une fuite en avant, mais une quête de sens, une recherche incessante de ce qui pourrait être, de ce qui devrait être. Mais, sans références, sans limites, ce rêve est si court qu’il peut devenir bien malgré lui un désert d’espérance, une attente innommable, un répit d’horizon, un mirage de Tartares, une défiante vision…

Dans cet espace saturé, l'intelligence collective, les avancées technologiques, dominent en tyrannie de données monnayées. Les idées, autrefois sources de réflexion et d'action, sont réduites à des algorithmes, des flux analysés et manipulés pour servir les marchands de pouvoir, les fossoyeurs de nos intérêts. L'action véritable des idées est étouffée sous le poids des informations, des prédictions et des analyses de girouettes, en pantins du désespoir.

L’utopie prends moins de place dans nos vies de limaces qu’un bon lit de regrets. Nous cherchons tous à repousser nos espoirs aux limites d’un espace qui nous est falsifié. En matrice, dans un blanc diégétique, un champ des possibles que l’on porte pour vibrer. Lieux communs d’alouettes, migrations séculaires, le manège saisonnier de milliers d’étourneaux effrayés. En somme, un Bardamu de l’Église, un comble de l’absurdité.?

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes brutales attisent la rébellion. En revanche, il faut procéder de manière douce et subtile, par une réforme des mentalités. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion subtile et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. » L’obsolescence de l’homme, Günther Anders.

Ainsi, l'individu, tout juste un individu, se tient seul dans une nuit d’étoiles pâles, ses réflexions pour ciel d’illusions. Il porte en lui les cicatrices du passé, les doutes du présent, mais aussi les rêves d’un avenir intangible. Il est le gardien de ses propres espoirs éteints, le créateur de ses propres chemins infinis, le but qui ramène au premier pas que l’on fait. Dans cette quête, il découvre que l'insignifiance collective n'est pas qu'une illusion, car chaque être, par sa simple existence, est une promesse de renouveau qu’on essaie d’enterrer, une étoile morte qui ne demande qu’à scintiller à nouveau dans le crépuscule de l'humanité. Car la nature a une fin indépassable, comme irréelle, embaumée dans un faux témoignage qu’un temps révolu nous rappelle pour passé.

Et dans ce voyage intérieur, il faut comprendre que la véritable importance ne réside pas seulement dans les grandes œuvres ou les exploits collectifs, mais dans la capacité à aimer, à espérer, à rêver, à dépasser, à accepter. Car ni le travail, ni le divertissement n’ont de prise sur la liberté, entravée par le gain de domination, par l’âpreté des échanges sociaux, des histoires ou des fables racontées.

Ni les lois, ni les maîtres ne font alors société : L’intelligence collective n’a plus lieu d’exister. Les actes simples et profonds donnent à l'individu sa dignité, sa raison d'être, son devenir d’être humain, dont l’espoir rêve d’aventures, au coeur d’un monde englouti par les flots amers du destin.

Certaines images sont plus fortes car elle nous permettent d’espérer, en métaphore les cloportes que l’on se plait d’écraser. Plus vil, plus ignoble, en première page notre honte. En portrait c’est un homme, seul et sans importance. Le reflet d’un miroir, comme une remontrance, de celles qui donnent la nausée.

Nota bene : Comprenons bien que si le sérieux démystifié nécessite de savoir à qui l'on s'adresse, les enjeux intrinsèques sont d'être pris pour ce que l'on est censé être. Postures. Ce point précis fera l'objet sans nul doute d'un texte dédié. En attendant, la bibliographie est plus lourde de références dans ce petit intermède littéraire et philosophique. Ce n'est pas drôle ou du moins pas d'apparence. En suis-je digne ? Oserais-je dire que non ? Peu importe. Là, n'est pas la question et le fait que vous vous la posiez, vous disqualifierait à l'instant.

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